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5 questions à Sylvain Lepithec à l’occasion du Festival bd BOUM Blois

Si vous êtes un habitué du festival de bd BOUM, vous avez surement remarqué la très belle exposition l’an dernier sur José Lapin. Pour ceux qui n’ont pas eu cette chance, il y a une séance de rattrapage vidéo en fin d’article. Et cette année les auteurs (Messina, Lepithec et Xaël) reviennent avec le tome deux : José Lapin, la chasse au Dahu (Ed. Proust jeunesse.)

Ce n’est pas en cherchant le Dahu que nous sommes tombés sur Sylvain Lepithec (ça aurait pu) mais en préparant le festival de bd BOUM à Blois et nous lui avons posé quelques questions auxquelles il s’est empressé de répondre avec sa gentillesse habituelle.

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© Sylvain Lepithec

EspritBD : Sur ton blog, tu postes presque uniquement des infos sur ton actualité ? Il n’y a pas de traces de carnets, d’essais, d’œuvres en cours…

Sylvain Lepithec : Non en effet, d’ailleurs pour moi ce n’est pas un blog, mais un fil d’actualité intégré à mon site, sur lequel est visible par ailleurs une sélection de mes travaux sous forme de galeries. J’ai essayé de tenir un blog BD  autobiographique en 2005 mais je l’ai vite abandonné pour me consacrer au fanzine que j’ai créé à l’époque, Mad Hatter. Je n’aime pas trop montrer les trucs en cours, pas finis… Je crois que je préfère raconter des histoires de fiction plutôt que ma vie, qui n’a pas beaucoup plus d’intérêt que celle des autres auteurs de BD et blogueurs. J’aurais pu chercher un point de vue pour rendre ça intéressant, comme l’ont fait certains, mais ce n’était pas mon ambition. J’ai utilisé la forme du blog plus tard pour un projet de fiction issu du même fanzine, ça s’est appelé « Eoz Forever » et il y a eu 70 pages environ publiées pendant un an, sur un blog spécifique. C’est une série avec des ados qui se passe dans les années 90, c’est un peu apparenté au sitcom, avec son côté désuet et naïf, son humour un peu débile, etc… C’est une BD collective pour les scénarios (signés Caïn et Hachène, plus rarement par moi) que j’ai dessiné, et qui devait initialement être publiée sous forme de strips dans le fanzine. Finalement nous avons trouvé que la forme de blog était mieux adaptée au déroulement en feuilleton que nous souhaitions, et nous avons essayé de publier l’histoire (qui se déroule sur une année scolaire) à peu près en synchronisation avec l’année scolaire en cours (2009-2010 en l’occurrence). Comme par exemple faire un gag dans le contexte de Noël quand la BD est publiée à Noël. Enfin, c’était l’idée. Je crois que nous n’avons pas complètement exploité le concept à fond, c’est dommage. J’aimerais bien continuer sur une deuxième saison en me contraignant davantage au concept, et en tirer un vrai intérêt narratif. Malheureusement je suis un peu tributaire des scénaristes sur cette série, et ils sont un peu sur autre chose… En attendant, on a publié la saison 1 en recueil papier fin 2010, avec une dizaine de pages supplémentaires inédites. Comme quoi, je reste encore attaché au papier…

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Almeria © Sylvain Lepithec

 

EspritBD : Que penses-tu du phénomène des blogs BD, est-ce un phénomène « de mode » ponctuel, ou un nouveau souffle, voire une redéfinition de la BD et de ses codes ?

S. Lepithec : Je dois avouer que je ne suis pas vraiment le phénomène de très près. Je suis très « old school » dans le domaine de la BD, je dessine à la plume et à l’encre de chine sur papier, c’est à peine si je fais mes couleurs à l’ordinateur… Je ne suis pas accro aux blogs, même si j’en lis parfois quelques uns. J’aime assez le travail de Boulet, pas tout, mais je trouve ses recueils papiers thématiques vraiment bien fichus. C’est à la fois un travail sur la spontanéité, très riche et varié graphiquement, et un travail de recueil, de sélection, de compilation, qui abouti finalement à un livre. Je trouve ça intéressant, il laisse une trace. C’est quand même un peu l’ambition de chaque auteur, outre d’être lu, de laisser quelque chose. Le livre reste concret, au contraire du blog qui défile et n’a qu’une durée de vie limitée. Pour être franc, je trouve qu’il y a beaucoup de déchets en blogs BD, plein de gens se sont mis à dessiner et à raconter leur vie sans trop se poser la question de savoir si ça peut intéresser quelqu’un, ou si la manière dont ils s’y prennent est adaptée. La vague de blogs BD dits « de filles » lancée par Pénélope Bagieu m’exaspère particulièrement, car je trouve qu’il y a une unification d’un style, des propos (très creux, souvent) et une vision de la femme consumériste et un peu nunuche… Bon ok il y a aussi de la dérision dans le propos, mais quand la BD devient nombriliste, ça ne m’intéresse plus. Cela dit, il ne fait aucun doute que les blogs BD ont apporté un nouveau souffle dans la création actuelle, l’émergence d’authentiques auteurs. En revanche, peu d’auteurs ont vraiment l’ambition de renouveler la BD et ses codes, alors que justement le blog et l’écran peuvent être un formidable terrain d’expérimentation pour cela. Il y a des tentatives, surtout aux Etats-Unis je crois, mais j’avoue que j’en connais peu. En France, à part Lewis Trondheim et Marc-Antoine Mathieu, je ne vois pas tellement de vrais défricheurs, on manque un peu d’audace, moi comme les autres d’ailleurs. Mais je crois qu’on va y venir, que les lecteurs sont prêts à changer leurs habitudes, à voir de la nouveauté. Aux auteurs de se jeter à l’eau… Mais le problème aujourd’hui c’est « Comment prendre des risques dans un métier si fragile financièrement ? Comment pouvoir se consacrer à temps plein pendant 3 mois sur un projet de BD expérimental qui ne rapportera de l’argent à personne ? » Seuls des auteurs comme Trondheim ou Marc-Antoine Mathieu peuvent le faire… D’ailleurs, 3 secondes réalisé par Marc-Antoine Mathieu avec le soutien de Trondheim prouve que ce genre de tentative existe et peut être viable, mais reste actuellement réservé à des auteurs reconnus et à des éditeurs financièrement bien installés, comme Delcourt ici, qui fait presque du mécénat avec ce livre !

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© Sylvain Lepithec

 

EspritBD : Et de la BD numérique ?

S. Lepithec : Dans le prolongement de ce qui précède, je pense qu’il y a encore beaucoup à faire. La BD est encore un art jeune, et le numérique ajoute de nombreuses nouvelles possibilités créatrices, visuelles et narratives à un médium qui est déjà très riche. J’avoue que moi-même, biberonné à Franquin, Hergé ou Uderzo, j’ai encore du mal à voir plus loin que des cases qui se succèdent et racontent une histoire, mais je crois qu’on va bientôt devoir aller au delà. Sans parler de nouveaux codes de lecture ou de concepts révolutionnaires, Internet est déjà un premier pas vers le renouvellement. Cela prendra plusieurs années mais ça va changer, comme ça change déjà avec l’essor des blogs BD et des éditeurs communautaires. Je trouve par exemple le concept de Manolosanctis très malin, et ça ne leur empêche pas de garder une ligne éditoriale cohérente, ni de faire des beaux livres [interview réalisée mi-oct]. L’émergence des sites de crowd-funding est aussi encourageant, puisque c’est le public qui finance un projet, et non pas un éditeur qui mise sur un « coup » en espérant le rentabiliser. Déjà, publier soi-même sur une vitrine que tout le monde peut visiter, c’est un sacré pied-de-nez aux tout-puissants éditeurs ! Mais aujourd’hui il est impossible pour un auteur de BD de vivre de son métier sans passer par la forme papier et généralement, il est rare de pouvoir se passer d’un éditeur, mais ça pourrait changer. Je ne sais pas encore comment, et d’ailleurs je ne souhaite pas la mort des éditeurs qui ont aussi un vrai rôle créatif, qui sont des découvreurs de talents, mais je me rappelle régulièrement ces propos de Lewis Trondheim que je trouve très justes, quelque chose comme « les auteurs n’ont besoin de personne pour créer, mais les éditeurs ont besoin d’auteurs pour vivre… ». Je crois que les éditeurs vont devoir autant changer que les auteurs. Le succès de Manolosanctis est encourageant, ça montre qu’il y a des alternatives à l’édition traditionnelle. Finalement au bout il y a toujours le lecteur et je pense que c’est lui qui va faire ses propres choix et orienter malgré lui l’avenir de la BD. Le secret de l’édition a toujours été d’être à l’écoute des envies du lecteur, et ça ne changera pas avec le numérique.


José Lapin tome 2 : la chasse au dahu (BD… par lepithec

EspritBD : Un mot sur le festival de BD BOUM BloisJosé Lapin (Ed. E.Proust), l’année dernière, était à l’honneur avec une exposition ?

S. Lepithec : J’y serai présent en 2011 pour la quatrième année consécutive, c’est le seul festival BD avec lequel j’ai une telle fidélité, je ne sais pas trop pourquoi mais ils ont toujours été super avec nous et avec la série José Lapin, ils nous ont soutenu dès le début (en 2008) jusqu’à aujourd’hui, et ils sont vraiment fous ! S’ils aiment un truc, ils y vont à fond : jamais je n’aurais imaginé connaître les honneurs d’une exposition avec un seul album publié, mais ils y ont cru et ils ont joué le jeu. Je crois qu’ils se sont aussi beaucoup amusés à faire cette expo en 2010, avec de la fausse neige, des carottes et de vrais lapins, et même un spectacle de théâtre pour les enfants de Blois qui a été monté exprès pour l’occasion. C’était dingue ! Ils ont assuré !

EspritBD : Cette année tu reviens à Blois avec un tome deux et d’autres projets, qu’est ce que tu attends de ce festival ?

S. Lepithec : J’aime bien l’ambiance, les gens, public comme organisateurs, c’est convivial et en même temps c’est pro. Comme j’ai déjà fait trois ans avec le même album, je reviens cette année un peu pour transformer l’essai avec le deuxième tome. Cet album a été long à naître, mon scénariste Nicolas Rouhaud et moi-même avons bataillé dur pour que cette histoire de Dahu puisse voir le jour, et on voulait le faire aussi pour tous ces lecteurs (jeunes et moins jeunes) qui ont aimé la première histoire et en attendaient une autre. Je considère donc comme un devoir d’auteur, autant qu’un plaisir, de retrouver et rencontrer ce public avec un nouveau tome et une nouvelle histoire que j’aime particulièrement.

EspritBD : Peux-tu nous donner, ta vision de la bande dessinée dans 10-20 ans ?

la vision de la bd dans 20 ans par Lepithec

La vision de la bd dans 20 ans par Lepithec/ © Sylvain Lepithec

 

Et, avant aller lire un p’tit album tranquillement dans son lit, je vous propose de découvrir son univers sur son blog. Mais aussi le site du collectif Babylon studio et le blog d’Eoz Forever pour découvrir toutes les facettes de ce dessinateur d’univers oniriques et touchants.

Et comme promis, pour ceux qui ont loupé l’expo, voilà une petite vidéo :


Expo José Lapin à Blois – Festival BD Boum 2010 par lepithec

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